Ado sait tout, ado, c'est tout

Extrait

Sur scène, la mère, en train de mettre la table. Entrent Fille 1 et Fille 2.

La Mère.

 – Ça y est vous avez fini de bosser ?

Fille 1.

 – Non, mais j’ai faim, je finirai après…

Fille 2.

 – Pareil pour moi !

La Mère.

 – Ah c’est dommage, j’aurais bien discuté un peu ce soir …

Fille 1.

 – Ah bon, qu’est ce qui passe, de quoi tu veux parler ?

La Mère.

 – De rien de spécial, de tout, de rien.

Fille 2.

 – Ah ouais ? Ben ça tombe pas bien, je suis débordée de boulot !

Fille 1.

 – Oui, moi aussi. J’ai deux interro demain ! On fera ça une autre fois, d’accord ?

La Mère.

 – Oui, bien sûr… mais en ce moment, j’ai un peu l’impression que vous refusez le dialogue, vous avez toujours mieux à faire, je me trompe ?

Fille 1.

 – Ben oui, c’est qu’on a beaucoup de travail, c’est tout !

La Mère.

 – Ouais… mais enfin vous n’allez pas me faire croire que vous ne pouvez pas prendre un moment ? Quand il s’agit de voir vos copines vous le trouvez, le temps !

Fille 2.

 –Maman ! C’est pas pareil ! Et tu as dit toi-même que tu ne voulais discuter de rien de précis,alors…

La Mère.

 – Vous savez, j’ai lu dans Psychologie Magazine que si on ne fait pas l’effort de discuter régulièrement, on en perd l’habitude et après c’est très difficile de renouer le dialogue.

Les filles se regardent mi-amusées, mi-exaspérées.

Fille 1.

 – Si c’est Psychologie Magazine qui le dit, c’est sûrement vrai !

La Mère.

 – Oh, c’est pas la peine de te moquer ! C’est très intéressant ce qu’ils disent dans ce magazine. Et si vous vouliez bien faire un effort, ce serait plus simple .

Fille 2.

 – La famille Psychologie Magazine est une famille heureuse !

Fille 1.

 – Avec Psychologie Magazine plus de soucis, plus d’ennuis ! Votre famille baigne dans une douce harmonie !

La Mère.

 – Mais enfin, qu’est ce que vous avez contre ce magazine il est très bien ! Ils ne disent que des choses sensées …

Fille 1.

 – Ne laissez pas votre enfant trop regarder la télé, il deviendrait totalement abruti.

Fille 2.

 – Proposez lui des légumes de façon ludique et sympa, il en a besoin pour bien grandir.

Fille 1.

 – Discutez régulièrement avec lui, il se sentira soutenu et important.

La Mère.

 – Bon, qu’est ce qu’il y a de stupide là-dedans ? Allez-y, je vous écoute !

Fille 1.

 – Rien, mais bon …pffff !

Fille 2.

 – Oui, ça saoule, non ?

La Mère.

 – Bien manger, ne pas être le dernier des imbéciles et discuter en famille, ça vous saoule ? Super !

Fille 1.

 – Mais non, c’est pas ça, mais on va pas vivre en fonction de ce que dit un magazine, quand même !

La Mère.

 – Pourquoi pas ? Puisque c’est bien…

Fille 2.

 – Tu ne veux pas comprendre ! Nous, on veut bien discuter, mais pas sur commande, pas parce qu’il faut le faire, pas parce que Psychologie Magazine l’a dit !

La Mère.

 – Ah oui ? Et quand est-ce que vous voulez le faire, alors ?

Fille 1.

 – On ne va pas fixer une date, quand même ! On discutera quand on aura un truc à te dire où quand tu auras quelque chose à nous dire.

Fille 2.

 – Est ce que Psychologie Magazine ne dirait pas un truc du style : « ne forcez pas votre ado à parler, ça le coince et ça le gonfle » ?

La Mère.

 – J’adore votre humour ! Super, les filles ! N’empêche dans Psy… je veux dire, c’est important de parler régulièrement pour ne pas créer de blocage, de fossé entre nous, et vous pouvez rire, je sais que c’est vrai ! Mais bon, on peut manger en silence si vous préférez….

Fille 1.

 – T’es de mauvaise foi, on n’a pas dit ça !

La Mère.

 – Ben voyons, c’est moi qui suis de mauvaise foi, d’accord, je me tais !

Fille 1.

 – Allez, fais pas la gueule !

La Mère.

 – Pas du tout ! C’est très agréable le silence.

La scène se fige, Paloma s’avance.

Paloma.

 – Pas si simple de définir qui a tort, qui a raison, je vous l’accorde. Essayons d’analyser calmement la situation. Cette mère veut parler avec ses filles, c’est plutôt bien. Ses filles ne veulent pas discuter sur commande, reconnaissez que c’est effectivement désagréable ! Alors, … et bien, là encore, il est nécessaire de comprendre la complexité de l’espèce « adolescent ». Il faut l’inciter à la discussion sans qu’il ait le sentiment qu’on lui force la main. Plutôt que citer Psychologie Magazine, cette mère aurait pu, l’air de rien, se servir d’un exemple.

Flore.

 – « Tiens ! J’ai discuté avec une collègue... Elle a beaucoup de mal à discuter avec sa fille et elle me demandait un conseil. Je ne savais pas trop quoi répondre… vous en pensez quoi ?… »

Fille 1.

 – Elle pourrait lui proposer un petit resto entre filles…

Fille 2.

 – Oui, ou lui dire qu’elle a besoin de parler avec elle, que c’est à elle que ça ferait du bien… comme ça, c’est plus facile.

Fille 1.

 – Ouais, c’est bien, ça. Comme ça t’as l’impression de rendre service, c’est agréable…

Scène figée.

Paloma.

 – Et voilà ! Se sentant mises en valeur, puisqu’il s’agit simplement de donner un avis, elles se mettent à parler sans se rendre compte qu’elles sont directement concernées, malin non ?… Bien. Enchaînons…