Il était une bombe

couverture de Il était une Bombe

Pierre Launay

Genre : Roman
Thème : Management, Conte.
Public : Tout public.
Epoque : Contemporaine.

Tout est bon pour manager une entreprise : le saut à l'élastique, les stages de survie, la méditation transcendantale... et pourquoi pas les contes ?
Christophe fait inventer des contes lors de stages visant à résoudre les problèmes relationnels au sein de la boite de Turpin.
Ça ne se passe pas si mal... ça pourrait être pire....
Enfin... il parait.

Pierre Launay

Extrait

« Bon, alors, c'est une princesse ..." Ta gueule Mortier !

– J'ai rien dit ! s'indigna Mortier, sa face rubiconde d'ancien première ligne du XV de France, fendue par un ricanement.

– Continuez, Christine, encouragea Christophe, Franck vous écoute et il ne fait pas faire de commentaire, n'est-ce pas Franck ?

– Tout à fait, répondit Mortier, alors cette princesse, fit-il en se tournant, goguenard, vers Christine, qu'est-ce qui lui arrive ?

C'est une princesse, elle descend tous les jours à la fontaine pour boire de sa belle eau fraîche, débita vaillamment Christine sans respirer, mais ce jour-là, il y avait, debout sur le petit mur où elle avait l'habitude de s'asseoir, un affreux gnome avec des boutons sur la gueule et une haleine de chacal qui la regardait d'un air salace, continua-t-elle en fusillant Mortier du regard, alors elle s'approcha pour boire et il lui dit : "
T'as beau faire ta mijaurée, je l'aurai ton p'tit cul, salope ..."

 

– Heu ... Christine ... c'est ... vous comprenez n'est-ce pas ? Le but est d'évoquer de vrais problèmes par le biais du conte pour les aborder calmement et les « neutraliser », dit Christophe en dessinant les guillemets d'un geste précieux.

– Ben ... c'est ce que je fais ! s'exclama Christine au bord des larmes. C'est toujours comme ça à la machine à café et…

– Tututut ! fit Christophe, s'il vous plait Christine ... je comprends, nous comprenons tous très bien ! C'est une situation particulièrement tendue, mais nous devons tous faire un effort pour trouver un terrain apaisé…

– Apaisé ! Je voudrais vous y voir ! À chaque fois, on me déshabille du regard ! J'ai l'impression d'être un morceau de bidoche ! Une pute ! C'est dégueulasse ! »

En sanglots, Christine se précipita dans le couloir, suivie de Marie-Jeanne flegmatique et armée de Kleenex. Christophe regarda les quatre derniers membres du groupe : Lionel Catherine, directeur du service comptabilité, continuait à se taire d'un air pincé en griffonnant sur son bloc, Sybille Laignin la secrétaire de direction, le regardait de derrière ses lunettes avec un petit sourire moqueur et concupiscent et Gérard Benjoin demeurait apathique. Le ventre en avant, Mortier s'amusait beaucoup.

« Et là, Mortier est content ... soupira Sybille d'un air exaspéré.

– Ben quoi ? Je vais pas me désespérer parce que La Reine Christine pète un câble tous les vingt-huit jours…

– Mais enfin tu te rends pas compte ! C'est insupportable cette attitude, là, de gros con, sans arrêt à mater…

– De quoi ? Non mais t'as vu comme elle est fringuée ?

– S'il vous plait, intervint Christophe avec un sourire professionnel, nous touchons là un point sensible et c'est très bien. Continuez à vous exprimer sur ce sujet en allant aussi loin que vous voulez dans la contradiction, mais en utilisant le conte et uniquement le conte. C'est votre seul outil ! Retraduisez votre point de vue, soyez polémique, imaginatif, de mauvaise foi, mais ne sortez pas du cadre du conte. Transposez ! On ne doit identifier ni les situations ni les personnes. Nous avons déjà parlé de tout ça ... Vous pouvez le faire, je le sais ! Qui veut la parole ?

– Moi ! dit Mortier.

Tous le considérèrent avec étonnement. Mortier n'était pas le seul problème de la boite, mais il en était à coup sûr l’un des principaux, tout le monde le savait, à commencer par lui-même. Tout le monde savait aussi qu'il était impossible de lui reprocher quoi que ce soit parce qu'il était un ami d'enfance de Turpin, le patron, et puis son tempérament sanguin et son physique de première ligne, même rendu gras et obèse par l'inaction et la bouffe, en imposait encore.

Il recula sa chaise, posa ses coudes sur la table et se pencha en avant, comme il avait fait le matin même quand il avait donné deux jours au petit Rachid pour rentrer dans les clous ou être viré à coups de pied au cul. Il prit une inspiration profonde, et son visage exprimait à merveille l'effort de l'haltérophile constipé. Le regard planté, trente centimètres devant ses chaussures, il dit :

Il était une fois un pauvre paysan qui ne pouvait pas nourrir sa famille tellement il avait une chiée de gosses. Comme il était plus bon à rien dans les champs, il passait son temps au bistrot. Quand il était trop bourré pour cogner sur sa femme, ses mômes venaient le chercher.

Il fit une pause, jetant un coup d'œil de côté comme pour s'assurer qu'on ne se foutait pas de lui, mais quelque chose remontait des profondeurs de ce gros corps. Lionel Catherine redoutait qu'il vomisse là, sur la moquette de la salle de réunion comme il l'avait déjà vu faire au méchoui du comité d’entreprise. Mortier reprit en regardant ses mains :

Un jour, son plus jeune fils regarda sa vie. Il avait faim, des poux, des fringues de clodo et toute l'école se foutait de lui. Il se dit : « ça suffit comme ça » et ... 

Mortier s'arrêta net.
«  ... et merde tiens ! Ça me fait chier ! Vous avez qu'à la continuer vous-même cette putain d'histoire !

– Excellente idée, s'exclama Christophe dissimulant mal son enthousiasme.

Après des semaines d'attente morose et d'essais infructueux, l'atelier décollait enfin, et touchait au cœur de la crise. L'abcès n'était pas crevé, mais sans aucun doute on titillait le furoncle, la preuve : la douleur avait mis les larmes aux yeux de Mortier que ses collègues commençaient à regarder d'un œil anthropophage. La vulnérabilité de ce tas de bidoche leur ouvrait des perspectives de vengeance.

Porta
Piccola
sur scène

avec la
Compagnie Acte Un

Porta Piccola
en format numérique

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