Timazo - La Cave de l'Essor

Couverture de Timazo volume 2

Florence Delorme et Pierre Launay

Genre : Roman d'aventure, nouvelle et pièce de théâtre
Thème : Enfants en fuite, Voyage en France, Théâtre
Public : Enfance et Jeunesse
Epoque : Contemporaine.

Mat, Titi et Zoé sont toujours sur la route.
Ils pénètrent dans l'ancien pays de vignoble qui borde le canal du midi et qui essaye de ne pas vivre que dans le passé.
On ne les attend pas vraiment, pourtant ils ont un rôle à jouer.
Pendant ce temps, un détective est toujours après eux.
Ce n'est pas une lumière...
C'est déjà ça !

Pierre Launay

Extrait 1 - La cave de l'essor

– Quel nom vous dites ?

– Martin.

– Martin… comme l’ours ?

– Hein ? Quel ours ?

– L’ours Martin, vous ne connaissez pas ? C’était un livre d’images quand j’étais petit.

Non, il ne voyait pas. Phlébite ne connaissait pas l’Ours Martin et il s’accrochait à la grosse astuce qu’il avait utilisée pour s’introduire au Batut, demandant s’ils avaient bien enregistré sa réservation au nom de Martin.

Christian qui l’avait parfaitement reconnu d’après la description qu’en avait fait Noémie, faisait semblant de chercher dans ses registres.

– Martin, Martin, non, je ne vois pas de Martin. C’était pour quelle période ?

– Je ne me souviens plus exactement justement, c’était en aout…

– Ah, dommage, parce que nous sommes complet pour tout le mois !

– Bon, tant pis pour moi… j’ai dû faire erreur. Mais dites donc ça a l’air de bien marcher votre ranch là !

– C’est juste un centre équestre.

– Ben c’est pareil non ?

– Si vous voulez.

– Et… qu’est-ce que je voulais dire ?

Phlébite cherchait désespérément un moyen de détourner subtilement la conversation vers les Timazo. En désespoir de cause, il se jeta à l’eau avec la finesse d’un éléphant.

– Vous avez entendu parler d’un spectacle qui a été donné à Traguas il y a quelques jours ?

– Un spectacle ?

– Oui, par des enfants.

– Ah ?

– Ils habitaient chez vous, à ce qu’on m’a dit.

– Les gens racontent beaucoup de choses vous savez.

– C’est les Timazo qu’on les appelle. Ça vous dit rien ?

Phlébite dévisageait Christian sans aucune retenue, pour y lire les signes de gêne ou de mensonge comme on lui avait appris autrefois à l’école de police. À vrai dire il ne se rappelait plus très bien de quoi il s’agissait et il était d’ailleurs un des plus mauvais éléments. Mais il lui semblait que traquer le moindre mouvement de la bouche ou des yeux de son interlocuteur en approchant le plus possible son visage du sien finirait bien par produire son effet. Il avait raison : Christian fut pris d’une forte envie de rire.

– Ce ne seraient pas les gamins qui habitaient dans la cabane là-haut ?

– Une cabane ? Quelle cabane ?

– Un vieux chalet d’alpage dans la montagne. Je sais qu’il y a eu des gosses qui vivaient là il n’y a pas longtemps.

– Deux garçons et une fille ?

– Oui, peut-être…

– C’est ça, à tous les coups ! Et ils y sont encore ?

– Franchement… aucune idée.

– Comment est-ce qu’on y va ?

– Par les chemins. Il n’y a pas de route. On peut monter à pied… ou à cheval. Mais de toute façon, il faut connaître un peu le coin. Tout seul vous vous perdriez.

Phlébite ne trouva pas étrange que des enfants dans un camion se soient réfugiés dans un lieu inaccessible par la route. Il se trouvait très fort d’avoir trouvé leur piste. Son flair l’étonnait lui-même.

– Vous pouvez m’emmener là-haut ?

– Heu… ça dépend de la promenade.

– Quelle promenade ?

– Et bien j’ai des clients ici, et je dois les guider pour une promenade cet après-midi. On peut passer par le chalet mais il faut que je leur demande…

– C’est ça, très bien, demandez-leur.

Phlébite se frottait les mains en attendant le retour de Christian qui cherchait, dans les profondeurs du Batut, le groupe de parisiens qui se préparait pour la balade. Depuis une semaine qu’ils étaient arrivés, ils montaient tous très convenablement et ils avaient tous envie de s’amuser.

– Dites, leur dit Christian, j’ai un client un peu spécial qui veut se joindre à la balade à condition que ça déménage un peu. Quand je lui ai dit que c’était une balade de parisiens il a eu l’air de dire que ça serait trop facile. Qu’est-ce que vous en dites ?

– Hein ? Quoi ? Mais pour qui il se prend ce mec ! Amène-le Christian ! On va rigoler !

– Vous êtes sûrs ?

Lorsque Christian revint avec Paso-Doble, un puissant cheval pommelé capable de porter le corpulent « Martin », celui-ci blêmit.

– Ah, parce que c’est une balade… à cheval ?

– Vous savez, c’est un centre équestre ici… on ne vous l’a pas dit quand vous avez réservé ?

– C’est à dire… je ne savais pas que c’était équestre à ce point…

– Vous n’allez pas monter habillé comme ça, dit Christian en montrant son costume défraîchi. Je vais vous chercher un truc.

Il revint avec un vieux pantalon d’équitation et un sweat-shirt qui avaient connu des jours meilleurs, lui passa une vieille paire de baskets. Phlébite se changea et convint qu’effectivement, pour monter à cheval, ce serait plus commode.

– Mais, il n’y a pas de … de siège, là, le truc pour s’asseoir ?

– De selle ? Non, en général on n’en met pas, c’est plus naturel et les chevaux préfèrent. On y va ?

Un long chemin de croix commença alors pour le malheureux Phlébite. Il fallu d’abord monter sur Paso-Doble. Phlébite l’approcha d’un petit mur dont il s’écartait aussitôt que son cavalier y montait. Après plusieurs tentatives sous le regard goguenard du reste de la troupe, Phlébite en nage parvint à grand-peine et sans élégance à s’installer sur sa monture. C’était très désagréable. À l’arrêt, l’échine du cheval lui appuyait douloureusement sur le coccyx, et ce fut bien pire lorsqu’il se mit à marcher. N’ayant pas d’étriers pour poser ses pieds, ni de selle à quoi se retenir, il s’agrippa à la crinière. Le derrière en l’air, accroché au cou du cheval comme un naufragé à une bouée, il crût mourir de honte en parcourant les cent premiers mètres entre deux cavalières aussi jolies qu’élégantes alors qu’il était balloté comme un sac de cuillères et blanc de peur. Mais ce fut bien pire lorsque tout le monde se mit au trot sur la route, tout le monde et, bien sûr, Paso-Doble. Pour éviter la chute, Phlébite serra ses bras autour du cou du cheval, abandonnant le peu de dignité qu’il lui restait.

Autour de lui, les parisiens riaient ouvertement de ce gros type au ventre mou qui gémissait comme un enfant. La peur lui fit perdre la conscience de ce qu’il était venu faire et l’heure qui suivit fut un long moment de survie. Les chevaux escaladaient avec aisance les chemins sous les arbres dont les branches lui griffèrent le dos et les fesses qu’il tenait trop haut levées. Il crut mourir lorsqu’ils prirent le galop sur le plateau mais fut surpris de constater que cette allure était infiniment plus confortable que le trot.

Lorsqu’ils arrivèrent au chalet, une baraque à peu près en ruine, il fut évident que personne n’y habitait et Phlébite se dit qu’il devait bien y avoir une trentaine d’années que personne n’y avait mis les pieds. À peine commençait-il à penser qu’on se fichait de lui que le groupe se jetait à fond de train dans la descente où il pensa mille fois tomber devant les pattes de son cheval.

Arrivé à la route, Paso-Doble couvert d’écume et épuisé par sa lourde charge se mit au pas tandis que le groupe fonçait vers le Batut. Lorsque Phlébite les rejoignit, il avaient tous ôté leurs vêtements et remontaient en maillots de bain sur leurs chevaux qui partirent au galop se plonger avec délectation dans la rivière, emportant avec eux Paso-Doble et Phlébite qui criait « Au secours ! Je ne sais pas nager ! »

Lorsqu’il revint, suivi par son cheval qui lui soufflait dans le cou, Christian lui demanda sans rire :

– Ça vous a plu ? On dirait que Paso-Doble vous aime bien…

Phlébite désespéré dégoulinait et on aurait dit que la flaque qui se formait à ses pieds était formée par ses larmes.

Extrait 2 - Le Pays silencieux (conte)

Il était une fois un royaume dont les habitants pensaient que ce qui pouvait leur arriver de pire, c’était que le roi pleure. Ferdinand Plumier avait vécu un grand malheur avant de devenir le roi Ferdinand 1er et il ne fallait surtout pas le lui rappeler.

Tout le monde aimait le roi Ferdinand 1er sans trop se poser de questions : on l’aimait parce que c’était le roi. Pour ne pas réveiller sa peine chacun surveillait tout le monde, mais comme personne ne connaissait la cause de ses souffrances, tous les sujets de conversation étaient considérés comme dangereux.

Si l’on parlait du prix des choses, quelqu’un surgissait aussitôt pour vous dire : « Mais vous n’y pensez pas ! Si notre roi l’apprenait ! » Dès que des amoureux commençaient à parler d’amour, on leur disait : « Comment osez-vous ? N’avez-vous aucune pitié ? » Il en était ainsi pour toute question et toute réponse : tous les mots étaient suspects.

À force de méfiance, les sujets du royaume étaient devenus presque muets. Ils s’enfermaient dans les placards pour chuchoter ou dans les toilettes pour se faire des confidences comme : « Tu pourrais me rapporter un kilo de pommes de terre ? » Ou bien « à quelle heure tu rentres ce soir ? » On ne se téléphonait plus, et la radio ne parlait plus que de lessive ou d’aliment pour chien, sujets qu’on estimait sans danger.

La reine Mandarine aimait le roi Ferdinand depuis longtemps. Elle craignait par dessus tout de lui faire de la peine, mais parler lui manquait terriblement. Elle aurait donné n’importe quoi pour bavarder un moment. Elle rêvait de dire « Bonjour, j’ai envie de danser, je vous invite au restaurant » ou « ma cousine Berthe m’a raconté que la mer monte, qu’elle n’aime pas les bigorneaux et que le fond de l’air est frais ». Aussitôt après, elle se reprochait amèrement d’avoir pensé cela : « Le roi sera triste et malheureux si je parle mais j’ai continuellement envie de parler. Au fond de moi, je dois être mauvaise. »

Extrait 3 - Théâtre

Monologue du Roi

Le Roi Ferdinand Premier.

 

— Je suis malheureux. Je ne sais plus pourquoi, mais je sais très clairement que je suis malheureux. Il s’est passé quelque chose autrefois. Quelque chose de terrible. De tellement terrible que je n’en ai gardé aucun souvenir. Si je m’en souvenais, ça recommencerait, et ça m’emporterait. Alors tout le monde est gentil avec moi et je peux continuer de ne pas me souvenir. 
Parfois j’ai un peu honte de tout ce silence qui entoure ma peine parce que je ne me souviens pas de ce qui en est la cause. 
En réalité, j’ai tout à fait oublié. 
Ça devait certainement être très grave pour que tout un pays s’arrête de respirer comme ça... Mais j’ai beau chercher, impossible de me rappeler.
J’espère que c’était quelque chose de vrai...


Monologue de Suzanne

Suzanne.

 

— Jean-Didier m’aime. C’est normal, je suis très jolie. C’est dommage qu’il soit complètement idiot. Mais c’est une chance qu’il ne puisse pas parler parce que je pense qu’il ne dirait que des bêtises. 
J’aime bien ses jambes... Il a de belles jambes, et de très très jolies fesses. Je trouve que c’est très important qu’un homme ait de jolies fesses. C’est agréable. Enfin, les autres, ça m’est un peu égal, mais Jean-Didier, ça me fait plaisir, ses fesses.


Monologue de Martin de Perdu

Martin de Perdu. 

— Avant on parlait. Maintenant on peut plus. Au moins comme ça, on dit pas de bêtises. Pas de gros mots non plus... Personne ne dit du mal de son voisin. Mais moi, j’ai plein d’histoires en-dedans. Comment je vais faire pour que les petits les apprennent ? Je sais pas bien écrire et je suis pas sûr qu’ils sachent bien lire…
Et puis les mots, depuis le temps que je ne m’en sers plus, ils ont peut-être rouillé. Ce sont de vieux mots maintenant. Peut-être que plus personne ne les comprendrait…
C’est dommage…

Monologue de Marcellus Tukru

Marcellus Tukru. 

— Y’aime mo métier d’aubergisse porqué yé reçois des yens, yé leur fais le manger, yé fais le dormir, alors y sont contonts.
Caroline, elle est belle, c’é pour elle qué yé souis resté ici. Avant yé faisais des autres choses dans la montagne, ma maintenant c’é fini, yé lé fé plous...
Yé souis content ici. On parle pas beaucoup porqué il est interdit... Ma y’é pas besoin parler pour dire yé t’aime à Caroline et à Gina.

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Porta
Piccola
sur scène

avec la
Compagnie Acte Un

Porta Piccola
en format numérique

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